« A défaut d’être un jour l’avenir de l’homme, la femme est-elle celui de la fiction télé ? A en juger par le nombre croissant d’«héroïnes récurrentes» (gendarmettes, avocates, fliquesses, infirmières, pas une fiche Onisep qui ne soit recyclée en personnage de téléfilm), l’urgence d’instaurer des quotas concernerait plutôt, en ce qui concerne le petit écran, le sexe masculin, sensiblement mis sur la touche par les productions actuelles. Cependant, Marion du Faouët ne doit pas être confondue avec les jolies pépées de fiction, canonisées dans l’épuisante bonté qu’elles témoignent aux autres dans l’exercice de leur profession. Comme la plupart de ses consoeurs télé, elle a existé pour de vrai, mais ses états de service en font un personnage autrement excitant: sous le règne de Louis XV, dans les années 1740, aux confins du Finistère et du Morbihan, Marie Tromel, jeune fille pauvre contrainte à mendier sur les marchés, devient, par esprit de rebellion et par amour pour un aventurier de passage, Marion du Faouët, flamboyante reine des voleurs aux cheveux rouges. A mi-chemin entre Robin des Bois (détroussant les nantis pour nourrir les pauvres) et Ma Dalton (en nettement plus attrayante, toutefois, mais avec la même capacité à commander les malfrats), cette rebelle de légende paya du prix du gibet une liberté conquise à la pointe de l’épée.
Ce personnage en or massif a inspiré, ces trente dernières années, de nombreux réalisateurs auxquels la télé n’a bizarrement pas donné la possibilité de passer à l’acte. Parmi les fans frustrés de Marion, Michel Favart, qui, après des Alsaciens de bonne tenue diffusés à la rentrée sur Arte, a enfin pu redonner, en adaptant le scénario de Catherine Borgella, une vie à cette figure de la Bretagne. Laquelle est incarnée avec fougue et émotion par l’Alsacienne Carole Richert, habitée par la force de persuasion, le charme et le courage physique nécessaires à la profession de meneuse d’hommes. L’avantage énorme de cette femme hors norme, c’est qu’elle imprime au téléfilm une cadence aussi effrénée que les larcins commis par la bande de brigands. Ce qui, mine de rien, évite les langueurs inhérentes au genre «téléfilm d’époque», dans lequel on a toujours un peu l’impression qu’il faut rentabiliser la location des costumes et la construction des décors. Car la vie de brigande n’est pas de tout repos, et devrait susciter bien peu de vocations chez les télespectatrices: en quinze ans de «carrière», Marion du Faouët aura été pourchassée sans relâche (notamment par un officier de la brigade de gendarmerie, Guillain Pécourt, incarné par le formidable Vincent Wintherhalter), battue, violée, mais elle aura aussi aimée de trois hommes. Le premier, Henry (Bruno Todeschini), celui qui l’entraîne sur les grands chemins et lui donnera deux filles, meurt pendu en 1747, sans l’avoir dénoncée sous la torture. Olivier Guilherm (Laurent Malet), son ami d’enfance, fils de bourgeois, renonce à tout pour la suivre mais doit se satisfaire de son rôle d’âme damnée. Quant à Gabriel de Robien, seigneur de la Motte et Pontlo (François Marthouret) chez lequel elle se réfugie un temps, escroc aristo dont le cynisme cache assez mal un grand vide existentiel, il se conduit comme un parfait pignouf. Toutes mésaventures qui n’empêcheront pas Marion de tuer s’il le faut (quitte à se précipiter à l’église, en bonne Bretonne, pour jurer devant Dieu de ne plus jamais verser le sang), de détrousser tout ce qui passe dans son rayon d’action, ni de marcher la tête haute vers une issue inévitablement tragique. Qui ne lui garantira même pas, contrairement à ses collègues mâles Cartouche ou Mandrin, une petite place dans la postérité. Servie par une réalisation classiquement efficace et une interprétation sans faille (à quelques acteurs polonais près à leur décharge, pas gâtés par le doublage), Marion du Faouët accèdera ainsi peut-être enfin à une reconnaissance nationale méritée. »… 17 mars 1997 dans Libération
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